LES CHRONIQUES



Ouverture du journal


Les équilibres sont rompus !


Je dois témoigner de ce qui se profile pour l’humanité…


…car les prophéties du désastre annonçant l’apocalypse, qui ne sont jamais réalisées, ne sont pas sans fondements…

Elles pourraient bien s’avérer exactes !

En effet, tout est prédéterminé depuis des milliards d’années. De même qu’à chaque naissance d’univers, dans les premiers instants du Big-bang, où l’alchimie nucléaire se détermine et les ondes gravitationnelles primordiales se propagent : tout est déjà là… L’homme n’est qu’un acteur qui improvise dans un décor de théâtre. Les règles du jeu lui ont été imposées ; il n’a que son libre arbitre ! Pour autant, les progrès techniques, les sciences ainsi que la métaphysique lui offrent une dernière chance. Ne pas s’impliquer équivaudrait à accepter la fin, sans combattre !

La partie est loin d’être gagnée, car l’homme est à l’origine du déséquilibre des forces qui engendrent chaque univers.

Dans La Terre déchue, deuxième volume de la saga « L’Épopée du Jeune fou », volontairement transcrit sous une forme romanesque, je témoigne du fait que, par idéologie, cupidité ou soif du pouvoir, l’humain a détruit les écosystèmes en falsifiant les codes génétiques. Animaux et végétaux sont devenus des monstres. Un grand nombre d’hommes ont eux aussi dégénéré. Le règne des machines a commencé. Les peuples ont été endoctrinés et asservis. L’aliénation mentale se répand dans les villes. Le message des religions avilit la pensée collective. La philosophie est proscrite. La politique aussi… La défiance s’empare des hommes. A tel point que nous ne pouvons plus échapper à l’autodestruction : le système est corrompu.

Aussi, le temps presse : nous n’avons plus le choix ! Et cela vaut pour nous… Nous qui vivons dans un des huit univers fondateurs.

Il ne sera question désormais que de rééquilibrer les forces qui régissent les lois de tous les univers. Au fil des millénaires, la folie des hommes a rompu l’équilibre. L’équation de stabilité est fragile, vous savez, il a suffi de presque rien… Peut-être une pensée collective incohérente… Un paramètre de supplément d’âme non corrigé… Mais ce « presque rien » a suffi à emballer le système. Les récipients de matières ainsi que les jarres d’énergies se déversent d’un univers à l’autre… Du trop-plein et du néant se créent. Des « trous noirs[1] » se déplacent accidentellement, emportant des galaxies tout entières. Certains s’autodétruisent, d’autres se dévorent entre eux. Des ponts spatio-temporels migrent en des lieux d’inutilités, autant de «  trous de ver[2] » en déshérence : la communication inter-univers ne s’effectue plus et, par voie de conséquence, les corrections d’équilibre non plus...

A cet instant, je déclare que l’état de Nature a cessé d’exister et qu’aucune régulation ne pourra endiguer l’entropie[3] de cette mécanique céleste funeste. L’entropie maximum des univers qui conduira à leur destruction est irréversible, à moins que…

Oui ! Un possible existe… et je me dois d’en témoigner. Cette odyssée dans les huit univers fondateurs, chacun d’eux étant à un stade différent d’évolution, qu’ils soient en expansion ou en contraction, en début ou en fin de vie, raconte l’histoire d’une humanité qui veut survivre quoi qu’il en coûte…

Ma tâche va être rude pour convaincre ! Comment vous persuader que mes romans ne sont pas des fictions, mais une réalité dont l’action se déroule en ce moment-même dans les multivers ? Et que ce qui s’y passe peut nous être fatal ! Les bonimenteurs de foires, les vendeurs du temporel et de l’intemporel — je parle des politiques et des religieux — feront tout pour prolonger l’amnésie de masse. Ils pourront sourire ou s’offusquer, adhérer à la cause ou la combattre, ils n’ont aucun intérêt à une prise de conscience des peuples de la Terre.

J’ai brouillé les pistes. Pris des identités multiples. J’apprends à être parano pour survivre. Déjà les menaces ont commencé… Je reviens de Suisse où j’ai donné une interview exclusive à une journaliste du Washington Observer, une Américaine sympathique. J’attends de voir... J’espère pouvoir lui faire confiance. Elle sera mon seul interlocuteur, autrement j’en changerai…

Frédéric du Châtelet
♦♣♠♥



[1] Trou noir : puits gravitationnel d’espace-temps infini.
[2] Trou de ver : raccourci à travers l’espace-temps.
[3] Entropie : état de « désordre » d’un système.


Je viens de recevoir pour approbation l’interview de Clara Stock, la journaliste du Washington Observer. Elle est jeune et plutôt jolie : je l’avais imaginée autrement, plus austère, dans la cinquantaine, moins pimpante... A contrario, la femme que je découvre est l’archétype de l’Américaine qui se veut bien dans sa peau. Je doute de sa totale sincérité, même si cette brunette aux yeux verts et à l’esprit vif n’a pas froid aux yeux. De toute évidence, c’est une chienne de chasse ! Opiniâtre, charmante, sexy et enjôleuse. Cela fait d’elle une redoutable enquêtrice. Je crois que nous allons bien nous entendre. J’aime ce genre de personne qui ose et qui n’avale pas les couleuvres ! Après notre visite au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire), notre fin de soirée s'est terminée au bar de l’hôtel d’Angleterre à Genève. Elle m’a poussé dans mes retranchements avec un sourire amusé : je ne couperai pas à une explication autre que celle que je lui ai donnée dans l’interview, si je veux qu’elle défende ma cause…

A haute voix, je lis le mail qu’elle m’a envoyé de Washington tard dans la nuit :



Frédéric du Châtelet
« L'espace-temps, c'est du chewing-gum »

Auteur très discret que peu de gens ont la chance — l'honneur — d'avoir rencontré, Frédéric du Châtelet nous livre quelques clés pour aborder son œuvre. Une saga familiale à travers l'espace-temps, foisonnante d'imagination, qui aborde des thèmes intemporels de l'humanité : Dieu, la vie, la mort, l'Au-delà, l'amour, la puissance de la pensée et son pouvoir sur la matière, le totalitarisme, la destruction de l'homme par l'homme, le pouvoir des machines... Une série bientôt "culte", pour animer les discussions pendant de longues soirées...


Frédéric du Châtelet, tout d’abord, merci d’avoir accepté cette interview exclusive, vous qui ne parlez jamais aux médias. Pourquoi m’inviter au CERN en Suisse, ou plus exactement, à la frontière franco-suisse ? Y travaillez-vous ?

Disons que je suis un admirateur des travaux qui s’y mènent… Le CERN est un des plus grands laboratoires du monde. Il a pour vocation de mener des travaux de recherche sur la physique fondamentale et la découverte des lois de l’univers. Nous sommes là au cœur du sujet qui préoccupe l’humanité : sonder la matière au plus profond de son intimité.


On sait très peu de choses sur vous... Ne seriez-vous pas l'un des personnages de vos livres, né au 19ème siècle en Angleterre dans une famille de mathématiciens adepte de Pascal et de Leibnitz, deux savants du 17ème siècle ? Confirmez-vous cette rumeur ?

Effectivement, ma famille voue un culte à Pascal et Leibnitz : l’un a construit ce que l’on peut qualifier de première machine à calculer et l’autre a inventé les mathématiques binaires, à la base du calcul des ordinateurs. Mais, je suis né à Niort en France… Quant à ma date de naissance, si je vous disais que je suis né au milieu du 19ème siècle, vous ne me croiriez pas. Inutile donc, d’aborder ce sujet qui pourrait s’avérer plus complexe qu’il n’y paraît...


Pourquoi complexe ?

L’espace-temps, c’est du chewing-gum ; on vous tire sur le nez, il s’allonge !


Votre récit dans l’espace-temps serait une « histoire réelle » et non une fiction prospective… C’est vous qui le dites !

Il s’agit bien de faits réels, malheureusement.


Selon vous, l’avenir de l’humanité, voire celui de notre univers, se jouerait en ce moment même ; pour autant, l’action dans vos livres semble se passer dans d’autres univers que le nôtre ?

En apparence, seulement. Le futur de l’humanité se détermine dans les multivers. Certains univers sont en miroir du nôtre. Cependant, de part et d’autre du miroir, rien n’est exactement identique. Ou plutôt, tout est légèrement déformé ; et surtout, une interaction existe entre les événements qui s’y produisent… D’autres réalités s’imposent… D’autres possibles s’envisagent. Il n’y a pas une seule vérité. Mais une multiplicité de vérités…


Plusieurs univers, plusieurs vérités... Vous pensez à la théorie du chat de Schrödinger en physique quantique qui serait soit mort, soit vivant, et en plusieurs lieux en même temps ?

C’est le cas, ce chat est mort et vivant et partout à la fois dans le même univers ! Mais ça, c’est dans l’infiniment petit…


Et dans l’infiniment grand, alors, qu'advient-il du chat ?

C’est l’inverse. On est dans un système dit "à représentation unique". En se référant à l’exemple du chat, il faut intégrer le fait que dans chaque univers, le chat est unique et non multiple : c’est un être singulier. Dans un univers, il peut être vivant et ici, et dans un autre univers qui serait en miroir, il peut être mort et là-bas. Dans tous les cas, il y a un chat ! Le même chat… Et la question est : si vous tuez le chat dans votre univers, quelle(s) conséquence(s) cela aura-t-il sur le chat qui vit dans l’univers voisin ? Et vice versa.


Il y aurait donc des passerelles entre les univers ?

Je veux dire que l’infiniment petit est le point de convergence entre les multivers, comme un tronc commun. On pourrait le comparer à une sorte de soupe universelle, un bouillon de culture originel, un paradoxe, où tous les ingrédients sont là… Tous les possibles ! Point de départ de chaque Big Bang, il est à la source des univers. Donc, oui, par ce biais, il y a des passerelles.


Ainsi d’après vous, des interactions existeraient entre les univers ?

Evidemment, et cela engage la responsabilité des hommes à l’égard des univers invisibles qu’ils côtoient sans le savoir. Aussi, je conclurai cette interview sur la problématique liée aux conséquences de nos actes et ce, quelle que soit la réalité vécue dans un univers ou dans un autre. Où qu’il soit, l’homme engendre les conséquences qui déterminent son futur ; il est son libre arbitre. Un libre arbitre qui s’avère être une arme à double tranchant. Car d’un côté du miroir, si on reprend cette métaphore, l’homme est à l’origine des conséquences, qui de l’autre côté du miroir, seront à résoudre ; les unes sont prévisibles mais la plupart ne le sont pas. Certains qualifient ça de destin. On en conviendra, la destinée de l’humanité se joue en partie à l’aveugle. Car il s’agit bien d’un jeu, d’une partie d’échecs à plusieurs étages entre les multivers, avec un seul adversaire : l’homme contre l’homme. Et c’est là que la dramaturgie produit tous ses effets… Que les camps jouent bien ou mal, et quel que soit le vainqueur… il n’en reste pas moins que tout se résume à une seule chose : la gestion des conséquences des coups joués, les bonnes comme les mauvaises. Et pour nous, aujourd’hui, la question est : comment y survivre ?


Propos recueillis par Clara Stock
Washington Observer

♦♣♠♥

COMMANDER
Le Cône de nacre
roman

Commentaires